L’avis de Numa Sadoul

Numa Sadoul, 52 ans, critique de bandes dessinées et metteur en scène, auteur de Tintin et moi, entretiens avec Hergé, paru chez Castreman en 1975. Eric Aesfumann lui a posé la question : “Vous qui avez parlé avec Hergé, estimez-vous que Tintin est de droite ou de gauche ?”

Numa Sadoul : “Il faut mettre de côté les trois premiers albums - Tintin au Pays des Soviets, Tintin au Congo, Tintin en Amérique - où Hergé épouse l’idéologie catholique, colonialiste et anticommuniste de l’entre-deux-guerres. Et également les derniers albums, comme Les Bijoux de la Castafiore ou Les Picaros, où Tintin semble basculer dans une sorte de gauchisme soft, où il défend les Romanichels et attaque les dictateurs. Entre ces deux extrêmes se situe la majeure partie de l’oeuvre, dans laquelle Tintin est un centriste, un représentant de la démocratie chrétienne telle qu’elle existe dans de nombreux pays européens, mais en plus daté, en plus belge. Il défend l’ordre et la loi, mais avec des principes moraux et sous une forme débonnaire: il faut donner aux pauvres, aider les gens dans le malheur. Dans Le Lotus bleu, C’est Tintin qui, le premier, quand il rencontre Tchang, dénonce le racisme et les préjugés. C’est extraordinaire pour quelqu’un comme Hergé, à l’époque où il dessine cet album. Cela montre la polymorphie de Tintin, sa capacité d’incarner des valeurs contradictoires. Néanmoins, si Tintin est gentil, son engagement est aux côtés des valeurs dominantes, pas contre les malheurs du monde. Dans Le Sceptre d’Ottokar, il va en Syldavie soutenir la couronne, probablement en écho à la royauté belge. Et la police est une de ses valeurs fondamentales. Il est présenté comme journaliste, mais on ne le voit jamais écrire: il passe son temps à aider la police à arrêter les bandits. Tintin semble être un supplétif. C’est un personnage lisse, neutre, afin que le lecteur puisse s’identifier à lui et que les autres personnages puissent exister.”

Edouard Malatray © Méry FRANCE

Les commentaires sont fermés !