L’ami Tchang

Privilège : en 1882, alors que j’animais une émission littéraire sur Radio-Mayenne, l’une des radios décentralisées de Radio-France - salut aux amis de là-bas et à la mémoire de Daniel Hamelin -, nous avions exceptionnellement installé notre studio au beau milieu du Salon du Livre qui se déroulait cette année-là, au Grand-Palais de Paris.

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Pendant trois jours, j’ai reçu à mon micro plusieurs dizaines de personnes. Toutes venaient d’écrire un livre, sauf une qui était, non pas l’auteur, mais le héros d’une merveilleuse histoire, l’ami Tchang ! Quel beau cadeau à nos auditeurs, habitués de nos jeux tintinophilesques ; mais aussi quel cadeau pour moi ! La conversation fut à l’image de l’homme : amicale et simple. Nous parlâmes un peu de tout, de Hergé, de Tintin, et de son double de papier. Est-ce que je me trompe ? Il m’a toujours semblé étonné de l’amitié que, spontanément, tous les amoureux de Tintin lui porte. Presque comme s’il ne la méritait pas…

A la fin de l’entretien, j’osais lui demander de me dédicacer le Lotus et le Tibet* que j’avais eu la bonne idée de prendre avec moi. Le choix de ces deux albums s’imposait, mais plus encore que ce que j’imaginais : j’ai su plus tard que Monsieur Tchang Tchong-Jen n’acceptait de signer que ces deux seuls albums, modeste signature, en bas et à gauche de la page de garde, et en caractère chinois bien sûr.

Voilà un homme qui méritait bien d’être, dans la vie, l’ami de Hergé, et dans la fiction, celui de Tintin : le jeune reporter ne pleure que deux fois à la fin d’une aventure, quand il quitte ses nouveaux amis à la fin du Lotus, et vingt-six ans plus tard, alors qu’il est en vacances à Vargèse, au moment où il découvre dans la journal que Tchang n’a pas survécu au crash du vol Patna-Londres : “Nous ne le reverrons plus jamais !… Plus jamais !…”, avant de décréter, contre toute logique, “Tchang n’est pas mort !…” L’amitié, si présente dans le monde de Tintin, atteint son apogée à l’ombre de l’Himalaya.

Dans un entretien paru dans Tintin, spécial Hergé, n° 11 bis, 1983, Hergé confie que s’il ne devait sauver qu’un seul album, ce serait Tintin au Tibet.

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