Tintin, un gentleman centriste

Par André Santini député des Hauts-de-Seine

Propos liminaires : journaliste, Tintin ne saurait être de gauche ou de droite, l’objectivité et l’indépendance d’esprit étant, comme chacun sait, les qualités les mieux partagées par la dite profession !

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Cette ambiguïté levée, une autre me paraît essentielle à dissiper avant d’entrer dans le vif du sujet : l’accusation de catholicisme intégriste, d’anticommunisme primaire et d’extrême droitismme faite à notre petit reporter par une certaine exégèse, au goût tristement provocateur.

Je défie quiconque ici de citer un seul moment où notre ami amorcerait le moindre commencement de geste de dévotion ou d’auto-flagellation publique : Hergé a lui-même qualifié Tintin au pays des Soviets d’œuvre graphiquement sommaire et de politiquement sectaire, et d’ajouter : « Les Soviets et Le Congo ont été des péchés de jeunesse ». C’est le même qui a dessiné des affiches pour Greenpeace ; enfin, dix ans avant l’Europe entière, notre petit héros traite les gardes frontières allemands de « tas de sauvages ». Il n’aura de pire ennemi, dans Le Sceptre d’Ottokar qu’un certain Müssler, contraction à peine voilée de Mussolini et de Hitler.

Cela fait, je m’attacherai à démontrer en quoi Tintin ne peut être rangé dans les rangs des héros légendaires du non moins légendaire peuple de gauche (pas plus que dans ceux de son intelligentsia d’ailleurs !), puisqu’il correspond sans doute beaucoup plus à l’idéal du gentleman centriste. Tintin est finalement au-dessus de tout cela, je dirais même plus : il est au-dessus des partis !

Tintin et le peuple de gauche, ou pourquoi Tintin n’est pas de gauche : à l’image d’un gouvernement récemment converti au libéralisme (privatisation, fonds de pension, réforme de la TP…) et après 50 ans d’anathème, L’Humanité vient de réhabiliter notre petit reporter. Procès, exclusion, réhabilitation, le procédé est connu. Tintin n’était donc pas de la « famille », et sa lutte victorieuse contre les soviets l’atteste. Un homme que le PCF a qualifié d’anti-communiste primaire ne saurait être rangé dans la catégorie des hommes de gauche. L’anathème en forme de boutade du camarade Marchais parle de lui-même : « Les aventures des Tintin en Russie, mais c’est un scandale ! A quand Tintin chez les Giscardos ? »

C’est d’ailleurs en fuyant le communisme à bord d’une décapotable que notre héros gagne sa légendaire houppette. Le détail a son importance, tant il est vrai que la grande Histoire, et singulièrement la politique, en sont tributaire. La houppette de Tintin, c’est le nez de Cléopâtre, la bouche de Monica ! Il n’est qu’à voir le dénuement et la surprise de Tintin devant la « planète déficit » (L’Etoile mystérieuse), c’est-à-dire celle où tout prend des proportions gigantesques en un rien de temps, pour se convaincre que notre homme n’est pas le théoricien de la relance par la consommation, des déficits publics, de la multiplication des emplois publics et des impôts à gogo ! Qu’est-ce que le bond en arrière de Tintin devant le champignon de L’Etoile mystérieuse, sinon l’exacte métaphore de celui de l’homme de bon sens devant la part des dépenses publiques dans un budget « social-socialiste » !

Habitué à ne compter que sur lui-même, expert en système D, champion de l’économie de moyen, notre héros est l’antithèse du coureur de subvention ou de l’avance sur recette ! Pas une seule fois Tintin ne rencontrera le maire de Blois (à l’époque Jacques Lang, ministre de la Culture, ndlr) au cours de ses pérégrinations, pas plus d’ailleurs que le ministre de l’Aventure… Vous me permettrez d’y voir tout de même un signe !

Et encore : lorsqu’en de rares occasions, Tintin s’essaye à la chasse, avez-vous remarqué qu’à aucun moment il ne s’attaque à un mammouth ! Tout au plus écorne-t-il quelques rhinocéros ou éléphants sauvages… S’attaque-t-il au yéti lui-même qu’il se contente de le faire fuir, sans un regard pour la mauvaise graisse d’un monstre qui pourtant n’en manque pas ! Voilà qui n’est pas très conforme aux circulaires de l’actuel et pétulant ministre de l’Education nationale (Claude Allègre voulait « dégraisser le mammouth, surnom qu’il donnait à son ministère, ndlr).

S’il était de gauche, le journaliste Tintin aurait les cheveux longs, peut-être même un bouc naissant ; si Tintin était de gauche, il ne se contenterait pas de débarquer au Congo avec son chien et son imper : il s’armerait de sacs de riz et de nuées de cameramen ! (pique contre Bernard Kouchner, ndlr) ; s’il était de gauche, Tintin ne porterait-il pas d’autres jarretières que des souliers mal lacés ? Voire l’équivalent d’un Smic à chaque pied ! Si Tintin était de gauche, il serait aussi essayiste, président d’association, élu local, signerait des pétitions et ferait régulièrement la grève de la faim. Or de tout cela, nulle trace dans la saga tintinéenne.

Il faut chercher ailleurs pour débusquer la gauche, derrière les bulles et les cases. Lucien, le héros de Frank Margerin, lui, est de gauche : version prolo certes, mais de gauche. Il n’est qu’à voir sa banane, sa guitare, sa mob et son blouson pour s’en convaincre. Renaud n’est pas loin… Pour la version, idéalo-anarcho-sympathique, façon Julien Dray ou Yann Galut, vous choisirez Gaston, le gaffeur de Frankin, ou le grand Dadet de Cabu. Voilà des héros pure-gauche… mais sûrement pas Tintin !

Tintin, c’est la génération Giscard, Gaston, la génération Tonton ! De même Tintin ne se confond pas avec les héros de droite de la BD. Que l’on pense à l’ignoble « Beauf » de Cabu ou à l’affreux Iznogoud. Lorsque dans Coke en Stock, Tintin se bat contre l’esclavage, là encore il n’est pas de gauche. Pas plus que nos amis socialistes n’ont le monopole du cœur, ils n’ont pas le monopole de la lutte contre l’esclavage… et ce quoiqu’en pense notre Premier ministre (l’homme à qui il manque une case, celle de l’oncle Tom !).

Et lorsque le goût ou la nécessité de l’escalade démange notre héros, ce n’est pas à la roche de Solutré qu’il s’attaque, c’est à l’Himalaya dans Tintin au Tibet ! A l’image de Pierre Mazeaud, notre ancien collègue – de droite, aujourd’hui membre du prestigieux Conseil (Club ?) constitutionnel, ou de Maurice Herzog, autre dangereux activiste d’extrême gauche bien connu… Coïncidence plus étrange encore, ledit Mazeaud n’y fêtait-il pas il y a quelques jours seulement son 70e anniversaire !

En une circonstance, Tintin est pourtant bien de gauche : lorsqu’il « apporte » la civilisation aux bons sauvages du Congo ! Vous noterez que la circonstance n’est pas flatteuse ! Il faut se rappeler en effet que la colonisation et ses vertus relèvent de la mystique républicaine façon Jaurès, Ferry, et autres tenants de la gauche bien pensante. Tintin au Congo, c’est Rocard dans les banlieues !

Bref, si nous déclarions ce soir que Tintin est de gauche, l’onde de choc serait terrible ! Tintin est de droite, bien sûr, puisqu’il dénonce les perversions du pays des soviets dès 1929 ! Tintin a fait autant sinon plus que Jean-Paul II pour la chute du mur de Berlin !

Tintin est incontestablement gaulliste lorsqu’il raille le « grand machin » (la SDN) dans Le Lotus bleu. Tintin est bien évidemment encore de cette droite « centristo-gaulliste » qui dénonce l’impérialisme et l’ultra-libéralisme US dans Tintin en Amérique. Lorsqu’il déclare : « ça par exemple, du pétrole… et personne pour capter cette fortune liquide ! » Tintin s’empresse dans la foulée de repousser les offres de businessmen assoiffés d’or noir par ces mots : « Je regrette infiniment Messieurs, mais ce puit de pétrole ne m’appartient pas, il est la propriété des Indiens Pieds Noirs ». Au reste, tout l’album dénonce la folie industrieuse de l’Amérique des années 30 et son cortège de rapts, de disparitions et autres meurtres orchestrés par un syndicat du crime à la solde du grand capital.

Sa courtoisie, sa galanterie, sa patience à l’égard de femmes telles que la Castafiore le met incontestablement dans le rang de cette droite bien élevée et aimable qui force le respect. Il ne serait jamais venu à l’idée de Tintin de traiter une femme de « marginale et d’outrancière » ! et pourtant, Dieu sait qu’il en a vu des vertes et des pas mûres : voyez madame Lampion ou l’inqualifiable Peggy Alcazar, sorte de croisement improbable entre Imelda Marcos et Barbara (Ba)Bush.

Son langage même le range parmi nos amis. Jugez plutôt ce petit florilège de ses interjections et invectives favorites : « sapristi, saperlipopette, gredins, coquins, malotrus… » Vous avez déjà entendu ça en meeting électoral à la Hague par exemple ? Moi, jamais…

Il en va de même avec son attitude bienveillante à l’égard des forces de l’ordre, pourtant représentées de façon peu flatteuses par les Dupondt… et les petits « sauvageons » comme les gitans de Moulinsart, Tchang ou Abdallah - que son père lui-même, le puissant émir de L’Or noir qualifie de « petit monstre » - regardez comme il les aide, et les soutient, pour finalement les sauver… On est loin des préconisations gouvernementales en la matière ! Non, vraiment, notre homme a véritablement le cœur au centre !

Econome des deniers de son employeur, Tintin fait preuve, là aussi, d’une retenue et d’un détachement qui en font incontestablement un gentleman centriste (notez les pantalons de golf !). Tintin est toujours sobrement vêtu, il se contente du minimum, il paye ses additions de restaurant et d’hôtel, bref, il n’est pas l’homme des notes de frais et des voitures avec chauffeur… au contraire d’une certaine gauche qualifiée de « caviar ». A l’image d’un certain ancien Premier ministre se risquant dans le RER, Tintin n’hésite pas à s’habiller couleur locale : en Ecossais dans L’Ile noire, en colon dans Tintin au Congo, en moujik dans Les Soviets, en homme du souk dans L’Or noir

Il n’est pas jusqu’à l’astrologie pour confirmer l’hypothèse ! A l’appui de ma démonstration, vous me permettrez d’emprunter des extraits de l’astro-flash de Tintin, à l’œuvre d’Albert Algoud, tintinophile incontestable s’il en est : « très tôt il a pris l’habitude de réfléchir avant d’agir, et d’avancer posément comme un montagnard qui sait ne pas hâter le pas quand il a une longue pente à gravir ». Droit dans ses bottes, quoi ! Et à l’opposé du « on agit d’abord, on réfléchit après » des tenants des 35 heures dans la fonction publique qui « fonctionne » comme chacun sait aux alentours des 32 h 30. « Sur le plan de la destinée : la réussite pourra être lente et tardive mais elle ne devrait pas échapper à cet être tenace ». Pour le coup, je vous le concède, match nul Chirac Mitterrand. « S’il offre aux autres le spectacle de ses divisions apparentes, il ne se perd pas dans son désordre ». Là vous me permettrez de ne pas commenter, je crois savoir que l’Alliance n’est pas encore dissoute !…

Pour Pierre Assouline, Tintin est même « le symbole absolu de l’Europe ». c’est dire s’il a toute sa place chez nous les centristes qui avons fait, faut-il le rappeler, et continuons de faire l’Europe… tant bien que mal. Ah, Tintin tête de liste aux européennes, voilà qui règlerait bien des problèmes !

Enfin, Tintin est rentable, il a fait gagner de l’argent à son créateur, il en fait toujours gagner à son éditeur, et par là il contribue aux bons chiffres du chômage belge. Il assure même le bifteck de centaines d’employés et en cela, il est incontestablement l’idéal centristo-libéral type ! 200 millions d’exemplaires vendus, ça c’est un bilan. 510 000 francs pour un dessin de L’Ile noire, enfoncé le CAC 40.

« Je suis plutôt ce qu’il est convenu d’appeler de droite, déclarait Hergé. Je pense que ce qu’on appelle la droite s’efforce simplement de faire en sorte que les choses fonctionnent sans avoir de message… » Il y a d’ailleurs sensiblement la même idée dans le taoïsme, je crois que c’est dans Tchouang-tseu : « Ne cherchez pas la vérité. cessez simplement de chérir vos opinions ».

On prête à Tintin une jeunesse douteuse, sensible aux thèses d’une droite dure et catholique, voire extrême. Certes, Tintin est né dans un milieu de droite : le catholicisme belge des années 20. Mais l’histoire politique française de ces dernières années n’a-t-elle pas montré que cela n’empêchait pas les conversions totales ou partielles, voire même, comme pour François Mitterrand, l’exercice de la fonction suprême… ? De même, le scoutisme ne se limite pas et ne conduit pas invariablement à Perros-Guirec ! Là encore, l’histoire politique française montre le contraire. Voyez Michel Rocard, « hamster érudit », devenu Premier ministre d’une France barbotant dans un socialisme frôlant la béatitude. De Michel Rocard à l’Abbé X, vous reconnaîtrez qu’il y a quand même un monde ! Tintin c’est le scoutisme version « Toujours prêt ! »

Tintin n’est pas un animal politique : tout juste peut-on relever qu’à l’aune du nombre de présidents de la Ve République notre ami est accompagné d’un chien. Mais là encore la comparaisons s’arrête : Milou que je sache n’est pas un labrador ! Que Tintin habite 26 rue du Labrador ne change rien à l’affaire ! En outre, le fidèle Milou n’a jamais écrit ses Mémoires… lui, à l’inverse d’une certaine et néanmoins célèbre Baltique. Tintin n’est donc pas cet animal politique que certains philosophes ont voulu voir en tout homme. et pour cause, d’aucuns prétendent même qu’il n’est pas un homme, un vrai, puisqu’il ne la jamais montré dans aucune de ses missions. Après tout, Lao-tseu n’a-t-il pas dit : « Le pêcher peut ne pas fleurir pendant plus de quarante années consécutives, cela ne signifie pas qu’il est stérile. »

Tintin ne vote pas, il n’est pas inscrit sur les listes électorales… Il est incorruptible comme le montre Tintin en Amérique. Il a beau côtoyer les plus grands souverains de la planète, les fortunes les mieux faites et les plus suspectes, Tintin jamais ne s’abaisse, pas même pour un HLM ou un puit de pétrole. Rien ne l’atteint en dehors de l’injustice.

Tintin ne promet pas la lune, il y va ! Lui il tient ses promesses ! Tintin est au-dessus des partis, au-delà de la politique et c’est tant mieux comme ça.

Bref, Tintin c’est autre chose. Tintin est un héros, quelque chose entre Marx et Jésus, mâtiné de Tarzan et de Nicolas Hulos, un Objet Humain Non Identifié et pour cette raison-là un personnage incroyablement universel. Comme Jésus et Mahomet, et en dépit du métier dont il se réclame, il n’a quasoiment jamais écrit une ligne…

Tintin, c’est un Don Quichotte qui aurait réussi, c’est l’Iliade et l’Odysée réunies pour toute une génération, un merveilleux récit quelque part entre la tapisserie de Bayeux et le Mahabharata !

Pascal Ory a raison quand il écrit : « La politique de Tintin, ce sont les droits de l’homme. il a fait plus pour le respect de l’autre que tout Lévi-Strauss. Il n’est pas sandiniste, mais il cotise à Amnesty International. »

Et pour cause, à l’avant-dernier dessin des Picaros, les slogans en faveur d’Alcazar n’ont-ils pas remplacés ceux vantant Tapioca ? Les policiers ont changé d’uniforme, mais les bidonvilles sont toujours pleins. Regardez certains rouges, ils ont beau s’être convertis au vert, il sont toujours autant de mal avec les agriculteurs… Vous voyez Tintin prendre parti sur le PACS ou le redéploiement des forces de sécurité ? Les Dupondt, peut-être, mais Tintin… restons sérieux.

Tintin est au-dessus des partis et c’est tant mieux comme cela : alors qu’en 1950, dans L’Or noir, il st sur le point d’empêcher le krach pétrolier de 1973, il s’exclame : « Pourvu que les gouvernements arrivent à s’entendre ! »

Tintin, c’est Lagardère, la bravoure, le sens de l’honneur et de la justice toujours en bandoulière, la cape et l’épe en moins. Bref, Tintin n’est pas une addition (il n’est pas la some de tous les communautarismes de la planète), Tintin n’est pas une multiplication (il n’est pas un surhomme), non Tintin, c’est une équation, c’est une formule magique, extraordinaire et merveilleuse : un ami d’enfance rêvé et partagé par tous, et je l’espère, pour toujours !

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