Un libéral libertaire

Par Alain Duhamel

Tintin est une sorte de précurseur inconscient des libéraux libertaires. Il a, dans chaque album sans exception, l’individualisme acharné, le goût de l’initiative, l’habitude de ne compter que sur lui-même.

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Il mène ses enquête sans aucune aide institutionnelle (Les Cigares du Pharaon), organise ses expéditions sans appui (Le Trésor de Rackam le Rouge), se bat généralement seul contre tous (Le Temple du Soleil). Il a d’ailleurs les traits caractéristiques des libéraux libertaires : élitisme instinctif (les milieux qu’il fréquente appartiennent, lorsque ses aventures de situent en Europe, aux cercles dirigeants, voir L’Affaire Tournesol, mais aussi droits de l’homme et compassion (Le Lotus bleu ou L’Etoile mystérieuse) ? Il serait donc « deuxième droite ».

Exprime-t-il une critique des totalitarisme du communisme en particulier ? Evidemment. Son anticommunisme est virulent, immédiat, constant. Tintin chez les Soviets est vraiment aussi pugnace que possible dans les limites d’un album de l’époque. Le plus frappant tient à sa permanence sur ce sujet. Des albums beaucoup plus tardifs, (L’Affaire Tournesol) mettent en scène des agents des services secrets des pays de l’Est de l’époque des plus expéditifs, ; brutaux… Et ressemblants. Il véhicule d’ailleurs aussi une idéologie anti-cartels internationaux, anti-grandes firmes pétrolières notamment (Tintin au pays de l’or noir) où les « majors » anglo-saxonnes n’ont pas le beau rôle. L’archétype du Yankee n’est d’ailleurs pas le plus privilégié des personnages : Tintin en Amérique. Les formes asiatiques du totalitarisme, japonais ou chinois, ne sont pas davantage épargnés, comme dans Tintin au Tibet ou dans Le Lotus bleu.

Au fond, serait-il gaulliste ? Gaulliste gaullien oui, en ce qui concerne la recherche instinctive d’une troisième voie sans doute imaginaire, anticommuniste et anticapitaliste à la fois. Mais non, car on ne trouve chez lui aucune trace de nationalisme belge. Son itinéraire personnel dans les années 30 et 40 en particulier l’a poussé vers une sorte d’anarchisme de droite, avec des pulsions généreuses courantes (Tintin au Tibet, Tintin chez les Picaros, Vol 714 pour Sydney) mais une aversion envers toutes les institutions et les hiérarchies établies : ses personnages d’officiers sont rarement flatteurs (ce qui aurait chagriné le Général), ses hommes politiques sont généralement ridicules (Le Sceptre d’Ottokar), sa bonne société est corrompue (Les Bijoux de la Castafiore), le christianisme est à peu près introuvable (sauf dans certains jurons du chevalier de Hadoque), ses artisans, commerçants, pêcheurs, ouvriers, agriculteurs ne sont visiblement pas inscrits à l’association capital-travail et ne croient pas au capitalisme populaire.

Aujourd’hui, dans quelle catégorie politique se situerait-il ? Pour qui voterait-il ? Il ne serait membre d’aucun parti, il n’aimerait pas les extrémistes, il serait sans doute un aventurier européen, curieux de tous les continents mais très enraciné dans le sien. Je le vois mal social-démocrate. Avec son style de vie, il se situerait entre l’écologie et le libéralisme social. Il serait en somme un fils de Dominique Voynet et de Michel-Edouard Leclerc, peut-être un filleul de Tony Blair.

Il a les caractéristiques des libéraux libertaires : élitisme instinctif, mais aussi droits de l’homme et compassion.

Alain Duhamel © Le Figaro, 28 janvier 1999

Un commentaire pour "Un libéral libertaire"

  1. Et le capitaine Haddok?